-Le foie gras halal, mets de fête... et symbole d'intégration
REPORTAGE – Libération 06/01/2010
Les ventes de foie gras halal ont été multipliées par dix en deux ans dans le magasin Carrefour de Gennevilliers. L'intégration est à l'oeuvre, analyse Antoine Sfeir.
En tête de gondole, présentés dans la catégorie «Réveillon à prix rêvé», les classiques escargots et le saumon fumé. Mais aussi, et c’est récent, le foie gras halal. Planté là, dans le passage de ce magasin Carrefour de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), il attire nettement plus l’oeil que le foie gras classique, proposé dans un autre rayon.
«C’est une de nos meilleures ventes, on en vend une trentaine par jour. On a voulu avoir vraiment une mise en avant, on sait qu’en misant dessus on ne sera pas déçu», expliquait fin décembre Cyril Malinet, manager dans ce magasin. Les ventes de foie gras halal dans ce supermarché ont été multipliées par dix en deux ans.
Cet exemple est loin d’être isolé. Partout, producteurs et vendeurs de foie gras halal — c'est-à-dire licite pour les musulmans — notent une nette augmentation de leurs ventes depuis un ou deux ans. «Nous avons cette année des demandes que nous n’avions pas précédemment, note Annick Fettani, dirigeante de Bienfaits de France, entreprise spécialisée dans le canard halal. Jusqu’à maintenant, il fallait qu’on se batte pour vendre notre foie gras et maintenant on nous le demande. Cela ne fait pas partie de nos produits phare, mais les gens s’y intéressent.»
Aucune connotation religieuse
Les jeunes générations de musulmans sont nées en France, ont grandi avec les traditions françaises et n’ont pas de raison de se tenir à l’écart. «De plus en plus de gens – les étudiants, les jeunes – fêtent Noël car c’est une fête nationale», affirme Antoine Sfeir, directeur des Cahiers de l’Orient. L’origine religieuse de Noël n’a donc pas d’importance à leurs yeux, comme c’est le cas dans bien des familles athées, qui y voient surtout une grande fête. «Au moins, même si Noël n’est pas une fête musulmane, on peut se faire un truc en famille», apprécie Christelle, un bloc de foie gras halal dans le caddy. «C’est important pour les gens qui veulent acheter halal. Sinon, ceux qui veulent goûter au foie gras ne peuvent pas se le permettre», note Farida, Française d’origine algérienne, pour qui Noël a toujours été important.
Le foie gras, mais aussi la dinde et le chapon trouvent ainsi grâce aux yeux des musulmans de France au moment des fêtes. A Noël mais aussi au Nouvel an. «On a deux Nouvel an, c’est ça l’avantage. On fait deux fois la fête !», s’amuse Farida.
Symbole du biculturalisme
«Les musulmans de la première génération étaient des traditionalistes. Ceux de la deuxième génération pensaient plus à travailler, ils ne pensaient pas beaucoup aux fêtes. La troisième génération était en pleine crise. La quatrième se sent plus concernée. Comme quoi l’intégration fait son oeuvre», analyse Antoine Sfeir. «Les anciennes générations n’avaient pas les mêmes moyens. Avec sept, huit gosses, comment voulez-vous qu’ils achètent du foie gras ?», confirme Ahmed Talbi, dirigeant de Maison Halal.
Cette évolution est aussi le fruit des couples mixtes, des convertis ou peut-être simplement d’une plus grande ouverture d’esprit de la part de certains. Des entreprises se mettent à offrir du foie gras halal à leurs employés musulmans en guise de cadeau de fin d’année, des catholiques, athées ou autres achètent halal pour recevoir leurs amis musulmans, etc.
Reste que pour l’instant, les produits halal sont plus chers que les produits classiques. Un prix qui en incite plus d’un à fêter Noël et le Nouvel an sans foie gras ni chapon. «C’est plus cher à produire car il faut la certification d’une mosquée, il faut qu’un certificateur musulman se trouve dans l’usine, se tourne vers la Mecque et fasse la prière. Il faut aussi un stockage spécifique. C’est une démarche qui coûte cher», assure Arnaud Lange, directeur marketing chez Euralis, qui exporte du foie gras halal vers le Moyen-Orient.
Autre point délicat : pour certains, le foie gras ne peut, par définition, pas être halal, l’animal ne devant pas souffrir avant d’être tué. Un débat qui n’a pas lieu d’être pour les amateurs de foie gras, et notamment pour Farida: «Si on chipote, vaut mieux le tuer soi-même!»
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